mardi 27 mars 2007

Détournement du droit en Egypte (2/3)

Avant de continuer l'analyse de la décision égyptienne (qui se trouve ici - en anglais) un bref rappel du billet précédent qui rappelait l'historique de l'affaire, et comportait un bref commentaire sur la décision de première instance, notant que bien que mieux que rien, cette décision n'était pas encore un signe d'une réelle liberté religieuse. Mais intéressons nous maintenant à la décision elle-même.

Arguments invoqués en appel

Les premiers arguments invoqués par l'administration furent procéduraux, prétendant que la Cour de première instance aurait dû à nouveau recueillir l'avis du Commissaire du Gouvernement après que les parties aient modifiées leur demande.

Le fait de commencer par invoquer des arguments procéduraux, outre le fondement logique, a aussi un fondement juridique montrant une fois de plus les similarités entre les systèmes égyptiens et français en la matière.

Dans le cadre d'une procédure administrative ayant pour objet l'annulation d'un acte administratif, il est nécessaire d'invoquer à la fois des arguments de (d'il-) légalité interne et externe pour pouvoir par la suite de la procédure compléter chaque catégorie d'argument. Si un plaignant omet d'invoquer un argument de chaque catégorie dès le début de la procédure, il ne pourra plus invoquer de tels arguments par la suite.

Typiquement, la première catégorie comporte des arguments procéduraux, et la seconde des arguments "de fond", invoquant la violation d'une règle supérieure par exemple.

Par conséquent, en pratique, tout requérant bien conseillé invoquera au moins un argument de chaque catégorie, même si l'argument ne tient pas, juste pour pouvoir par la suite en invoquer d'autres si par hasard il en découvrait au cours de la procédure.

Le Commissaire du Gouvernement intervient dans la procédure, mais n'est pas partie (ni requérant, ni défendeur). Il s'agit (en France à tout le moins) d'un juge indépendant dont la fonction est de proposer au Conseil d'Etat des solutions en droit pour résoudre le litige présenté. Il ne représente pas l'Etat (malgré son titre), lequel est l'autre partie, en principe le défendeur, dans ce genre de litiges.

Dans la décision, l'argument invoqué était que le Commissaire du Gouvernement n'avait pas pu réagir au changement de stratégie de la part des requérents en première instance (les baha'is).

D'autres arguments de fond avancés reposaient sur le fait que le jugement se serait fondé sur une loi relative au statut civil abrogée, la nouvelle loi prenant en compte l'amendement de l'article 2 de la Constitution donnant aux principes de la Shari'a musulmane le rang de source primaire de droit.

Un dernier argument était ainsi formulé :
« the judgment under consideration ignored the unanimous view of the scholars (fuqaha) and the formal opinions (fatwa) issued by competent authorities concluding that the meaning of the freedom of belief is that the individual has the freedom to embrace his like of the fundamentals of any belief, under the condition that his embracing of such a belief does not imply interference with the public order of the state or its stability; [and thus also ignored that] Baha’ism is excluded from divine religions and that its practice infringes on the established order of the state, and therefore it should not be inscribed for children because this is against the public order. »
De manière assez surprenant, le Conseil d'Etat ne répond pas à tout ces arguments mais suis sa propre argumentation juridique qui est sensiblement différente.

La décision du Conseil d'Etat

Arguments procéduraux

S'agissant de l'intérêt à agir des premiers requérants (privés) en appel, le Conseil estime que l'intérêt à agir se dérive de ce que : « such an act implies recognition of the Baha’i religion contrary to the established opinions of scholars and to those opinions included in fatwas emanating from competent authorities, as well as to the provisions of the Constitution. »

Légalement parlant il est pour le moins surprenant que la contradiction à la Constitution (qui est évidemment un motif légitime justifiant un appel) soit prise en compte de manière subsidiaire à l'opinion d'érudits et à des fatwas selon lesquelles la foi baha'ie ne serait pas une religion.

En tout état de cause, la Shari'a tenant sa légitimité juridique de l'article 2 de la Constitution amendée (voir ci-dessous) et non l'inverse, un tel argumentaire est un premier indice du caractère biaisé du raisonnement du Conseil.

Le Conseil d'Etat continue : « It is probable also that such an act may also have effect on him, [and] his family members, as a result of proselytizing activities that harmfully target the Muslim religion. »

Sans commentaires. Pour une religion qui interdit toute forme de prosélytisme et qui de toute manière est interdite d'avoir toute organisation en Egypte, il semble que les quelques milliers de baha'is (dans un pays de 79 millions d'habitants) font peur. Pourquoi?

Malgré cela, le Conseil n'a pas eu d'autre choix que de refuser les arguments procéduraux invoqués par l'administration (ou alors le biais aurait été beaucoup trop évident).

L'administration essaya d'argumenter qu'aucune décision négative implicite n'avait été prise, et que les requérants (les baha'is) auraient dû porter leur plainte devant un comité en charge du statut civil. Le Conseil répond, estimant que le refus ou l'omission de prendre une décision est bel et bien une décision négative et que le comité en question n'avait pas de compétence à ces sujets, rejettant les moyens avancés. Une autre solution aurait été quasiment injustifiable!

Le Conseil estima aussi que le tribunal en première instance n'avait aucune obligation d'entendre à nouveau le Commissaire du Gouvernement après que les parties aient changé leur stratégie (voir le premier billet). Encore un parallèle avec le système français, voilà qui est assez normal dans la mesure où le Commissaire n'est pas partie à la procédure, il ne subit aucun préjudice dès lors que le représentant de l'Etat a eu l'occasion de réagir.

Ainsi, l'apparence de l'indépendance subsiste, place au jugement au fond...analysé dans un dernier billet à venir...

samedi 24 mars 2007

Lettres d'Iwo Jima

Avant de continuer l'analyse de la décision des juges égyptiens, un peu de cinéma.

Certaines recettes marchent toujours!

Steven Spielberg produit en général de bons films, Clint Eastwood s'est déjà révélé être un très bon réalisateur. Lorsque les deux mettent ensemblent leurs compétences, le résultat est à la hauteur des attentes.

N'ayant pas vu le premier volet, La mémoire de nos père (fiche Allociné) je ne peux comparer ou faire les liens qui existent nécessairement, et je le regrette. Vivement la sortie du coffret.

Mais même sans les liens, ce film est simplement un beau film, pour autant qu'un film de guerre puisse être beau. Un film qui, bien que comportant des scènes de combats assez dures car probablement assez réalistes, est un film qui travaille enfin le caractère des soldats, leurs humeurs, leurs sentiments, leurs forces et leurs faiblesses.

Il est rare de voir un film de guerre s'intéresser autant à cet aspect des choses.

Le tout filmé par l'oeil très attentif de Clint Eastwood, chaque plan (ou presque) étant superbement travaillé.

Un bon film, et encore une occasion de réfléchir à la nature humaine...essayez de le voir en VO (japonais tout du long...), mais il est probable que la traduction enlève beaucoup de charme...

Voir la fiche Allociné

mardi 20 mars 2007

Joyeux Naw-Ruz!

Et une bonne nouvelle année!

Sur la signification de cette fête issue de la culture iranienne, voir un article très complet ici.

Pour le reste : il est temps d'aller marquer le coup!

Le soleil est en passe de se coucher sur le dernier jour de jeûne...

dimanche 18 mars 2007

Détournement du droit en Egypte (1/3)

Ce billet et les deux suivants traiteront de la décision du Conseil d'Etat Egyptien privant les baha'is d'Egypte de leur droit fondamental de citoyens (avoir des cartes d'identité et des certificats de naissances valables) du fait de l'obligation d'indiquer une religion (soit l'Islam, le Christianisme ou le Judaïsme) sans possibilité d'indiquer la foi baha'ie. Pour plus d'informations à ce sujet.

Une analyse précise de cette décision est intéressante particulièrement pour un juriste français du fait des similitudes que semble avoir le droit et la procédure administratifs égyptiens à commencer par le nom de la Cour administrative suprême : Le Conseil d'Etat.

Le texte intégral de la décision peut être trouvé ici en anglais.

La décision étant assez longue et détaillée (10 pages), l'analyse fera l'objet de trois billets différents, ce qui occupera un peu le blog...sachant que le dernier billet est le plus intéressant car traitant du fond de l'argumentation ;-)

Brièvement, la décision est un appel d'une décision de première instance obligeant l'Etat égyptien à émettre des cartes d'identité et des certificats de naissance (récemment informatisés) mentionnant la foi baha'ie comme religion. Le Conseil d'Etat annula la décision.

Deux appels furent lancés contre la décision, le premier visiblement privé, et le second gouvernemental.

La structure et le style de rédaction de la décision semble aussi directement inspirés des décisions du Conseil d'Etat français. La décision commence par une synthèse de la procédure jusqu'ici, rappelant les faits à l'origine du litige et la décision examinée.

Arguments avancés par les baha’is

Du résumé il ressort que les plaignants ont changé de stratégie en cours de procédure.

Ils commencèrent par argumenter que le fait pour l'administration de refuser de leur rendre leurs passeports et cartes d'identités confisqués à l'occasion d'une demande d'ajout de noms de leur fille violait la Constitution et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Par la suite, la demande fut donc apparemment modifiée en une demande d'annulation de la décision négative de refus d'émettre des cartes d'identité mentionnant leur religion ainsi que le refus d'émettre des certificats de naissance pour leurs filles.

Cette décision négative semble aussi inspirée du système français reconnaissant une décision implicite négative en cas d'absence de réponse de l'administration dans les deux mois. Si l'administration ne prend pas la décision ou n'agit pas selon ce qui a été demandé, le justiciable est en droit de demander aux tribunaux de confirmer si oui ou non l'administration avait l'obligation ou pas de prendre une telle décision ou d'agir.

Dans ce cas, l'action demandée était donc l'émission de cartes d'identité et de certificats de naissance mentionnant la religion baha'ie. L'absence d'action violerait la Constitution et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Il est intéressant de noter, grâce aux nouveaux développements, que de nouveaux arguments pourraient être tiré d'une demande de remplacer la mention de la religion par cinq dièses.

La décision attaquée

La juridiction de première instance annula la décision négative implicite en estimant que (les citations seront toutes en anglais par convenance) :
“existing authoritative reference books on Islamic jurisprudence indicate that Muslim lands have housed non-Muslims with their different beliefs; that they have lived in them like the others, without any of them being forced to change what they believe in; but that the open practice of religious rites was confined to only those recognized under Islamic rule. In the customs of the Muslims of Egypt this is limited to the peoples of the Book, that is Jews and Christians only.

The provisions of the shari’a [Islamic jurisprudence] require a disclosure that would allow to distinguish between the Muslim and non-Muslim in the exercise of social life, so as to establish the range of the rights and obligations reserved to Muslims that others cannot avail [themselves] of, for these [rights and obligations] are inconsistent with their beliefs.

Thus, the obligation prescribed by the Law of Civil Status no. 143 of 1994 concerning the issuance of an identity card to every Egyptian on which appears his name and religion and the same on birth certificates is a requirement of the Islamic shari’a.

It is not inconsistent with Islamic tenets to mention the religion on a person’s card even though it may be a religion whose rites are not recognized for open practice, such as Bahá’ism and the like.

On the contrary, these [religions] must be indicated so that the status of its bearer is known and so he cannot enjoy a legal status to which his belief does not entitle him in a Muslim society. It is not for the Civil Registry to refrain from issuing identity cards or birth certificates to the followers of Bahá’ísm, nor it is up to such Registry to leave out the mention of this religion on their identity cards.”
Voilà qui est intéressant. Si le résultat factuel (si cette décision avait été confirmée) aurait été positif (les baha'is obtenant leurs papiers...) le résultat n'aurait pas pour autant été un résultat très positif au regard des motivations.

La juridiction de première instance estime que : La religion doit être indiquée afin d'identifier à quelle communauté appartient un citoyen afin qu'il ne puisse pas bénéficié d'un statut légal que sa croyance lui interdit dans une société musulmane.

Le chemin jusqu'à une vraie liberté religieuse est encore loin. Dans un autre pays connu des défenseurs des droits de l'Homme (ou de personnes s'intéressant aux problématiques nucléaires), les baha'is sont actuellement fichés, et ce n'est probablement pas dans le noble but de leur accorder enfin les droits de citoyenneté de base dont ils sont privés depuis trop longtemps.

Pour replacer les choses dans leur contexte. Les baha'is ne demandent pas une reconnaissance officielle de leur foi, ils ne demandent ni plus, ni moins que d'être traités comme des citoyens normaux, d'avoir des papiers en règles, condition pour ne pas être licencié, et accéder aux services publics de base dans un pays en état d'urgence...

La simple absence de la mention d'une religion suffirait. Mais il paraîtrait que le système informatique ne l'autorise pas...

En tout état de cause, la décision de première instance a été annulée...

(à suivre…)

samedi 10 mars 2007

Un banal WE de jeûne

L'avantage de la période de jeûne est qu'elle offre beaucoup de temps pour faire...beaucoup de choses.

Ce WE aura aussi été l'occasion d'une réflexion sur le développement durable lors d'un colloque en présence de Nicolas Hulot et de PDG de grandes sociétés françaises.

Globalement, il en ressort une chose : l'humanité doit prendre conscience collectivement de sa responsabilité, et de la nécessité d'une solidarité mondiale : nous en sommes loin!

Dans ce contexte, le message baha'i s'adressant à l'ensemble de l'humanité et traitant notamment des questions de développement durable s'insère de mieux en mieux dans les besoins d'une humanité qui doit aujourd'hui se réveiller : l'urgence est réelle!

Anecdote de Nicolas Hulot : Si l'on rapportait l'histoire de la planète à une année, l'homme serait apparu le 31 décembre à minuit moins 3 minutes...ajoutons à cela que les vrais dégâts n'ont commencés qu'au 20ème siècle, et en si peu de temps c'est aujourd'hui 50% du vivant qui est menacé!

Bien joué!

Face à cela, à part une réelle transformation de l'humanité qui passe par la transformation de chaque individu afin qu'il adapte ensuite son comportement de toute urgence, difficile de trouver d'autre solution convaincante.

C'est exactement dans ce contexte que s'inscrivent les activités proposées par les baha'is.

Le reste du WE fut un peu plus "matériel", inévitable lorsque la semaine est aussi chargée.

Mais en dehors de ces obligations de survie, le vendredi soir a été l'occasion d'une sympathique soirée lors de laquelle j'ai été initié au concours de TUC. Le but du jeu : manger en une minute le plus grand nombre possible de TUC. Beaucoup moins facile qu'il n'y paraît. Un jeu drôle entre gens harassés par une semaine de travail éprouvante.

Sinon, pour le reste...bravo Flo...une vraie chef! :-) et merci pour l'invitation Raph!

Pour retourner à des choses plus "naturelles", ce WE aura aussi été l'occasion d'accueillir un nouvel habitant permanent...


Si, si, c'est un bonzaï :-)

Bienvenue!

Et si avec ça, je n'apprends pas la patience...

mardi 6 mars 2007

La vie des autres

Peu de temps (malgré le temps dégagé par le jeûne) pour de la réflexion de fond...mais pas mal de sujets à traiter...donc soyons optimistes...

Le peu de temps restant est utilisé à bon escient pour se détendre un peu afin de ne pas faire sauter toutes les plombs, la surchauffe est proche!

En tout cas, ce film, un très bon film, à rajouter à la filmographie dans la rubrique Allemagne de l'Est. S'il vous plaît, pour les germanophones, en allemand. Les sous-titres très inégaux dans leur qualité ne laissent rien présager de bon pour l'adaptation, et quelques blagues sur Honnecker sont tout simplement géniales...

Un film très dur, et pourtant quasiment sans violence physique, l'on prend la violence, la perversion du système de surveillance de chacun par chacun en pleine figure.

Au milieu de tout cela, les trois personnages principaux vivent chacun une histoire, difficile, faite d'amour, de désespoir, et d'un peu d'espoir dans un monde meilleur et dans la nature humaine.

Rassurant lorsqu'il s'agit de la nature humaine, effrayant lorsqu'il s'agit des dérives d'un Etat totalitaire, réaliste sur le bilan même s'il n'est que brièvement évoqué.

Un bon film à chaudement recommander...

Voir la fiche Allociné

vendredi 2 mars 2007

L'unité dans la diversité

"Qu'il n'y ait aucun doute quant au but qui anime la loi universelle de Baha'u'llah...

Elle n'ignore pas, ni ne veut supprimer, la diversité due aux origines ethniques, au climat, à l'histoire, aux langues et aux traditions, aux manières de penser et aux coutumes qui différencient les nations et les peuples du monde.

Elle en appelle à une loyauté plus large, à une aspiration plus vaste que celles qui ont jamais animé la race humaine.

Elle insiste sur la nécessité de subordonner les impulsions et les intérêts nationaux aux revendications impérieuses d'un monde unifié.

Elle refuse une centralisation excessive, d'une part, et rejette toute tentative d'uniformité, de l'autre.

Son mot d'ordre est l'unité dans la diversité..."

(Extrait d'une lettre de Shoghi Effendi, tiré d'une Compilation de textes)


Cet extrait qui ouvrait la lettre de l'Assemblée nationale de France aux fêtes de 19 jours qui ont eut lieu hier et la lettre qui a suivi étaient tout simplement...magnifiques!

La fête de 19 jours à laquelle j'ai assisté hier était une superbe illustration de cette unité dans la diversité, et nos discussions nous ont montré à quel point les idéaux qui nous sont communs apportent des solutions adaptées aux problèmes de sociétés aussi diverses que la société malaisienne, japonaise, irlandaise, française...

Merci à vous tous hier au soir...et merci pour cette lettre!

Un beau cadeau pour cette fin d'Ayyam-i-Ha (jours intercalaires) et ce début de jeûne.