Arguments invoqués en appel
Les premiers arguments invoqués par l'administration furent procéduraux, prétendant que la Cour de première instance aurait dû à nouveau recueillir l'avis du Commissaire du Gouvernement après que les parties aient modifiées leur demande.
Le fait de commencer par invoquer des arguments procéduraux, outre le fondement logique, a aussi un fondement juridique montrant une fois de plus les similarités entre les systèmes égyptiens et français en la matière.
Dans le cadre d'une procédure administrative ayant pour objet l'annulation d'un acte administratif, il est nécessaire d'invoquer à la fois des arguments de (d'il-) légalité interne et externe pour pouvoir par la suite de la procédure compléter chaque catégorie d'argument. Si un plaignant omet d'invoquer un argument de chaque catégorie dès le début de la procédure, il ne pourra plus invoquer de tels arguments par la suite.
Typiquement, la première catégorie comporte des arguments procéduraux, et la seconde des arguments "de fond", invoquant la violation d'une règle supérieure par exemple.
Par conséquent, en pratique, tout requérant bien conseillé invoquera au moins un argument de chaque catégorie, même si l'argument ne tient pas, juste pour pouvoir par la suite en invoquer d'autres si par hasard il en découvrait au cours de la procédure.
Le Commissaire du Gouvernement intervient dans la procédure, mais n'est pas partie (ni requérant, ni défendeur). Il s'agit (en France à tout le moins) d'un juge indépendant dont la fonction est de proposer au Conseil d'Etat des solutions en droit pour résoudre le litige présenté. Il ne représente pas l'Etat (malgré son titre), lequel est l'autre partie, en principe le défendeur, dans ce genre de litiges.
Dans la décision, l'argument invoqué était que le Commissaire du Gouvernement n'avait pas pu réagir au changement de stratégie de la part des requérents en première instance (les baha'is).
D'autres arguments de fond avancés reposaient sur le fait que le jugement se serait fondé sur une loi relative au statut civil abrogée, la nouvelle loi prenant en compte l'amendement de l'article 2 de la Constitution donnant aux principes de la Shari'a musulmane le rang de source primaire de droit.
Un dernier argument était ainsi formulé :
« the judgment under consideration ignored the unanimous view of the scholars (fuqaha) and the formal opinions (fatwa) issued by competent authorities concluding that the meaning of the freedom of belief is that the individual has the freedom to embrace his like of the fundamentals of any belief, under the condition that his embracing of such a belief does not imply interference with the public order of the state or its stability; [and thus also ignored that] Baha’ism is excluded from divine religions and that its practice infringes on the established order of the state, and therefore it should not be inscribed for children because this is against the public order. »De manière assez surprenant, le Conseil d'Etat ne répond pas à tout ces arguments mais suis sa propre argumentation juridique qui est sensiblement différente.
La décision du Conseil d'Etat
Arguments procéduraux
S'agissant de l'intérêt à agir des premiers requérants (privés) en appel, le Conseil estime que l'intérêt à agir se dérive de ce que : « such an act implies recognition of the Baha’i religion contrary to the established opinions of scholars and to those opinions included in fatwas emanating from competent authorities, as well as to the provisions of the Constitution. »
Légalement parlant il est pour le moins surprenant que la contradiction à la Constitution (qui est évidemment un motif légitime justifiant un appel) soit prise en compte de manière subsidiaire à l'opinion d'érudits et à des fatwas selon lesquelles la foi baha'ie ne serait pas une religion.
En tout état de cause, la Shari'a tenant sa légitimité juridique de l'article 2 de la Constitution amendée (voir ci-dessous) et non l'inverse, un tel argumentaire est un premier indice du caractère biaisé du raisonnement du Conseil.
Le Conseil d'Etat continue : « It is probable also that such an act may also have effect on him, [and] his family members, as a result of proselytizing activities that harmfully target the Muslim religion. »
Sans commentaires. Pour une religion qui interdit toute forme de prosélytisme et qui de toute manière est interdite d'avoir toute organisation en Egypte, il semble que les quelques milliers de baha'is (dans un pays de 79 millions d'habitants) font peur. Pourquoi?
Malgré cela, le Conseil n'a pas eu d'autre choix que de refuser les arguments procéduraux invoqués par l'administration (ou alors le biais aurait été beaucoup trop évident).
L'administration essaya d'argumenter qu'aucune décision négative implicite n'avait été prise, et que les requérants (les baha'is) auraient dû porter leur plainte devant un comité en charge du statut civil. Le Conseil répond, estimant que le refus ou l'omission de prendre une décision est bel et bien une décision négative et que le comité en question n'avait pas de compétence à ces sujets, rejettant les moyens avancés. Une autre solution aurait été quasiment injustifiable!
Le Conseil estima aussi que le tribunal en première instance n'avait aucune obligation d'entendre à nouveau le Commissaire du Gouvernement après que les parties aient changé leur stratégie (voir le premier billet). Encore un parallèle avec le système français, voilà qui est assez normal dans la mesure où le Commissaire n'est pas partie à la procédure, il ne subit aucun préjudice dès lors que le représentant de l'Etat a eu l'occasion de réagir.
Ainsi, l'apparence de l'indépendance subsiste, place au jugement au fond...analysé dans un dernier billet à venir...